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L’apprentissage de l’informatique chez les personnes âgées institutionnalisées est-il possible et utile ?

 

Suivi et évaluation d’un projet « Honneur en action », par Christian VIRENQUE, du comité Toulouse Ouest

 

En quelques années, le monde a été transformé par l’intrusion de l’informatique, le monde socio-culturel en particulier.

Un certain nombre de personnes qui, pour des raisons diverses n’a pas été touché par le changement fondamental apporté par la « fracture numérique », plus ou moins longtemps après leur cessation d’activités professionnelles, vit en foyers logements et EPHAD.

Pour ces personnes âgées, parfois très âgées, une initiation à l’utilisation de l’ordinateur nous a paru intéressante. Utile probablement pour elles, cette démarche devait en outre nous permettre d’étudier ses effets de façon scientifique.

En décembre 2010, la Société des Membres de la Légion d’Honneur (SMLH) lance l’opération « Honneur en action ». Sur 250 projets proposés, 30 sont retenus dont le nôtre qui sera financé à hauteur de 1850 €.

A la suite de cet accord, je contacte cent cinquante « maisons de retraite » de la région toulousaine. Une demi-douzaine se déclarent intéressées.

 

Je constitue un groupe de 4 puis 5 formateurs bénévoles et fais l’acquisition de 2 ordinateurs portables qui, stockés dans une valise, vont constituer un atelier pédagogique itinérant.

Dans le premier établissement que nous avons sélectionné, la directrice a déjà entrepris une démarche interne de formation avec l’aide de la psychologue et de l’ergothérapeute et « recrute » des résidents volontaires.

C’est l’usage du Web qui intéresse nos « élèves » et le programme initialement retenu : approche du fonctionnement et de l’utilisation d’un ordinateur, traitement de texte et bureautique, accès Internet, est rapidement modifié. Il est prévu, pour chaque résident, pendant 3 semaines, une séance hebdomadaire de 2 heures. Entre deux séances, le personnel de l’EPHAD est chargé d’entretenir les acquis.

Après cette première expérience, deux autres établissements seront ensuite contactés et nous adoptons un déroulement plus souple : le nombre de cours et les thèmes seront fixés « à la carte ».

En fait, dès le départ, pour assurer l’évaluation scientifique de cette opération, ce projet a été présenté au service de géronto-psychologie de l’Université de Toulouse 2 Le Mirail.

J’ai, ainsi pris contact avec Madame Valérie IGIER, professeur de psychologie à l’Université de Toulouse II Le Mirail. Ce travail a été confié à Madame Brigitte COUTELLIER et a donné lieu à un mémoire de Master 1 : « Des aînés branchés , les effets de l’apprentissage de l’informatique chez les personnes âgées institutionnalisées ».

Pour certains, l’usage de l’ordinateur favoriserait l’isolement des personnes âgées. Madame COUTELLIER s’est attachée à lever ce type de réticences. C’est elle également qui, par des entretiens semi-directifs, nous a permis d’étudier les prérequis indispensables et le profil des candidats (âge, niveau d’études, sentiment d’auto-efficacité, estime de soi, motivations, troubles cognitifs..) en tenant compte des spécificités des personnes âgées institutionnalisées (perte d’autonomie, et sentiment de finitude). Cet accompagnement universitaire s’est révélé très positif.

Les 27 personnes qui ont participé à l’étude (20 femmes et 7 hommes) ont une moyenne d’âge de 81 ans.

Elles ont été retenues après un entretien semi-directif qui a permis de préciser les facteurs considérés comme favorisants : familiarisation avec l’ordinateur, étayage de l’institution et ou de la famille (pression des enfants notamment).

Un entretien post-initiation a permis de coter les attentes et les motivations et aussi de corréler les résultats obtenus enfin de dresser un bilan de l’opération.

A l’issue de cette opération, les « élèves » ont, au minimum, acquis une certaine familiarisation avec l’ordinateur, certains sont devenus capables de maîtriser quelques fonctions (avec une assistance) et alors que la manipulation de la souris est pour beaucoup un véritable challenge. Deux seulement sont parvenus à une réelle autonomie.

Etant donné le faible niveau de scolarisation des femmes de cette génération (nées entre 1915 et 1939) le facteur genre (sexe) a été jugé non pertinent, et le facteur âge ne semble pas non plus vraiment primordial (bien que l’on connaisse la réduction des fonctions cognitives liée au vieillissement !).

En fait, ce sont d’une part la motivation, d’autre part l’étayage institutionnel ou familial qui semblent les facteurs déterminants.

Les personnes qui viennent avec un objectif précis : maîtriser les mails, s’informer, enregistrer des photos, écouter de la musique par exemple sont les plus assidues.

Ceux qui bénéficient d’un soutien ou d’un encouragement de leurs enfants sont ceux qui obtiennent les meilleurs résultats.

Quelques jugements négatifs, mais aussi beaucoup de témoignages positifs. « Plus j’en fais, plus c’est facile, je me régale », « Ma fille est fière de moi », « Je me suis pas mal débrouillée, ça me plaît beaucoup », autant de réflexions témoignant du plaisir, voire de la fierté de découvrir ce qui semblait réservé aux générations suivantes.

Cette satisfaction exprimée est pour nous une surprise ! Et c’est là que l’opération s’avère la plus positive. 

Les enseignants (qui, grâce à l’étudiante ont reçu une information spécifique gérontologique) ont découvert que leurs efforts, s’ils n’aboutissaient pas toujours à doter leurs élève d’une vraie maîtrise, parvenaient à leur faire découvrir le plaisir d’une modernité, d’une convivialité, d’une ouverture sur l’inconnu.

Quant à l’équipe de formateurs qui s’est progressivement soudée au cours des deux années de pratique, elle a découvert une activité originale et le contact avec le monde des établissements institutionnels, monde qui sera peut-être pour certains celui dans lequel ils auront à vivre dans un avenir plus ou moins proche.

Bien que mené sur un échantillon réduit qui limite sa portée ce travail, réalisé avec une méthodologie rigoureuse, laisse penser que les directeurs d’EPHAD et foyers logements où résident des personnes qui ont « manqué le train » de l’informatique ont tout intérêt à mettre en œuvre des programmes originaux qui sortent un peu des animations classiques souvent inadaptées à un public parfois beaucoup plus cultivé que l’on ne pense. Ces programmes devraient renforcer l’autonomie des résidents et donc exercer une véritable action thérapeutique.

Certes cette initiation à l’informatique n’aura qu’un temps relativement limité, car la nouvelle génération de résidents n’en aura nullement besoin. Cependant les technologies évoluant de plus en plus rapidement, on pourrait retenir le principe plus général d’une initiation aux nouvelles technologies. Lesquelles ? L’avenir nous le dira.

 

« Confronter le résident à la nouveauté, lui permettre de ne pas s’enfermer dans un sentiment négatif de finitude, aller jusqu’à la maitrise de l’outil pour voyager, acheter, échanger, se distraire, s’instruire lui-même en autonomie », telles sont les conclusions du mémoire « Des ainés branchés » de Brigitte COUTELLIER.

Au-delà, ce mémoire, réalisé grâce à l’aide apportée par l’Honneur en action de la SMLH, contribue à porter un regard neuf sur notre relation avec les personnes âgées.

 

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